
Marie est à la tête de deux P.M.E. : sa famille et son atelier et mène de front les deux fonctions, tambour battant : mère de trois enfants, très investie dans le fonctionnement familial, mais aussi artiste sculptant le papier. Ses oeuvres sont des pièces uniques. Parallèlement à la création, Marie transmet son savoir-faire lors d’ateliers pour enfants et adultes.
Quand tout va bien, Marie jongle avec habileté entre les obligations familiales programmées, l’attente de ses élèves et sa propre créativité. De cet emploi du temps boursouflé, très souvent chahuté, Marie malgré toute l’énergie déployée, est souvent au bord de l’asphyxie…
Sélectionnée par la Korean Craft and Design Foundation et les Ateliers d’Arts de France, Marie s’envole pour Séoul un mois durant où elle réside chez Sim Hwa Sook, artiste coréenne qui lui transmet l’art du papier traditionnel coréen : le Hanji.
Ce récit est celui de son absence.
Semaine 1 – les doutes
Marie est partie. Envolée. Enfuie ! Disparue pour 5 semaines, larguant mari, enfants et atelier. Avec sa stature imposante et son sourire un rien moqueur, elle m’a remis les clés de ses maisons et confié généreusement tout son monde. Tout ? Non. Juste ce qui a trait à ce qu’elle a de plus précieux : sa famille et les enfants de l’atelier. Drôle d’expérience pour une nullipare.
À la volée j’ai plongé dans le grand bain du mercredi. Le jour surchargé où il faut conjuguer atelier ET famille. La trouille du premier jour : ne pas oublier les clés, les lunettes, être à l’heure, être à toutes les heures, ne pas se tromper de prénom, de tous les prénoms, ne pas oublier Félicien le fils, à la piscine, quels menus préparer et quid de l’énigmatique Fleur sa jumelle ? ?
Emportée dans le tourbillon, la journée défile à une vitesse incroyable dans une forme de halètement permanent où je dois sans cesse me remémorer les règles : non Tiphaine n’est pas Simon et encore moins Clara ! Midi déjà ! L’heure des mamans et du temps nécessaire à leur consacrer, normal il faut mutuellement s’apprivoiser, alors que les mains enduites de colle à tapisser, je rêve de les plonger délicieusement dans l’eau chaude.
Pause. Le havre de paix du repas d’Odile. La joie secrète de continuer à tisser une relation qui a débuté discrètement il y a 3 ans déjà avec cette grand-mère rugueuse, attentive aux plantes et aux hommes, les grands comme les petits. Le temps de trouver ses marques, mettre la table, aider à la préparation du repas et ses repères avec le rituel café. Cette pause du mercredi va tenir ses promesses d’échanges fertiles et joyeux, d’entraide et de soutien dans la bonne humeur et le fou-rire des couacs partagés.
Oups ! Un enfant trouve porte close et va s’en retourner ! Il est déjà 14 heures, le marathon recommence. Chance, en ce mercredi après-midi mes petites élèves sont sages, attentives, calmes, observatrices. Qui est cette Lulu qui confond à nouveau Mathilde, Alice et Léa alors que la chose est tout bonnement impossible. Quel est ce projet de couronne de l’Aven concocté par Marie, certes, mais qui paraît bien abstrait ! Heureusement, la curiosité et les jeux prennent vite le dessus, et il faudra, là encore l’arrivée des mamans pour déclencher ma sonnerie interne. Bip, bip, bip. Passez à la séquence suivante. Passez à la séquence suivante.
Le temps de nettoyer et ranger l’atelier, de se rassurer sur les productions du jour et j’embarque Félicien pour la seconde partie de ma mission. La famille.
C’est un doux mélange de soutien scolaire, de cantine familiale, d’intendance soft et d’accompagnement discret d’un quotidien bien rempli. Une espèce de Lulu-Poppin’s des temps nouveaux, le cyber parapluie en moins. Pour cette première fois, le rythme s’accélère. Préparer le repas : direction le frigo, prendre des décisions sur son contenu, trouver les casseroles et les ingrédients. Là, Marie tu es réellement loin. Lulu-Poppin’s n’arrive pas à entrer en contact avec toi, même par télépathie. Où sont les casseroles, les couverts, les ingrédients, les poubelles, le pain, la bouffe du chat, tout… ? Pendant ce temps, surveiller du coin de l’œil Félicien. Ne pas lui montrer que je suis aussi curieuse que lui de ce qui va naître de cette association. S’emparer du fameux cahier de texte, se transformer en inquisitrice redoutable le temps d’affermir une sévérité à trouver. S’habituer à l’univers de Félicien, à sa façon apparemment nonchalante de prendre la vie et ses obligations. S’arroger des instants de pur bonheur dans la découverte de son (trop ?) confortable fauteuil de travail et se l’approprier illico. Délicieux moment de détente qu’il faudra interrompre pour préparer le repas des zoulous : spaghettis bolognaise, double figure imposée tant par le contenu du frigo que par les courses de Stéphane, le père surbooké. Résister au chantage « plateau TV », aligner les enfants en rangs d’oignons sur la table de la cuisine, et attendre le verdict de 3 gastronomes en pyjama.
Pour cette première fois, je serai sauvée par Stéphane dont l’arrivée créée instantanément un grand chambardement. Il était temps de remettre un peu d’approximation dans cette organisation Lulu-Poppin’s !
Justement, l’approximation Félicien connaît et me fait partager son univers le lendemain. Malgré un rendez-vous fixé à la piscine pour 17h30 pétantes, il en sort bien fatigué et la fleur au fusil à 18h15 bien sonnées : « Ben oui Lulu je t’avais dit 17h30 ? ». Le temps de vérifier ses horaires théoriques et de procéder aux réajustements nécessaires et voilà ruinées les règles fixées par Marie avant son départ. Sans cri ni révolte, cet enfant avec désinvolture, fiche en l’air un édifice contraignant bâti sur ses mesures en deux temps et trois mouvements. Il est trop fort !
Nous y voici donc… La Corée est un pays très surprenant : mélange de traditions et de nouvelles technologies. Nous avons été accueillies par la TV, nous logeons dans une habitation typiquement coréenne magnifique, les murs sont en terre et en papier (le Hanji) le chauffage est au sol ainsi que les matelas…
Texte et Photo Marie